La lutte contre les Apaches (1905)
La naissance du journal à grand tirage (Le Petit Journal , 1863), inaugure l’ère des médias de masse. Le mouvement s’accélère sous la Troisième République où la liberté accordée à la presse provoque une véritable explosion de l’information. Les nouveaux journaux sont de plus en plus souvent illustrés et diffusent images et photographies à grande échelle. Au tournant du siècle arrivent sur les Unes les « Apaches » : jeunes gens, en groupe, considérés comme précocement violents. Ce sont plus ces « bandes » de jeunes qui ont l’audience du grand public que les dénonciations locales des maisons de correction.
Texte : Véronique Blanchard
Source : Le Petit Journal, 15 octobre 1905
Crédit : Le Petit Journal
Bande de jeunes à la fête foraine (1960)
Au tournant des années 1950, les lieux de loisirs populaires sont pointés du doigt comme étant un des facteurs de l’augmentation de la délinquance juvénile et de sa sociabilité déviante en bandes. Parmi les attraits dangereux que peut présenter la rue, le spectacle de prédilection jugé des plus nocifs est la fête foraine. Le tout nouveau service de protection des mineurs constitué au sein de la Préfecture de Police s’appuie sur de nouvelles législations restrictives pour interdire l’accès des moins de 15 ans, non accompagnés, à certaines attractions comme les "chemins de fer aériens", montagnes russes, balançoires et "skooters" (ou auto-tamponneuses), ainsi que l’accès à certaines exhibitions "un peu particulières quoique jugées non immorales pour les adultes". Les lumières clinquantes des néons, les stands de tirs, les machines à sous et autres "pièges" mis en place par les tenanciers des foires pour appâter la clientèle sont ainsi mis sous haute surveillance, les adolescents étant souvent comparés à des papillons qui viendraient y griller leurs ailes.
Texte : Mathias Gardet
Source : « Le mal de la jeunesse » , Faim et soif, n°33, février 1960
Crédit : droits réservés
Bandes de jeunes et police (1961)
Cette photo tirée du film de fiction américain The delicate delinquent (Le délinquant involontaire) de Don Mc Guire, 1956, mais publiée dans la Revue internationale de criminonologie et de police technique, illustre les velléités de fichage des bandes juvéniles exprimées par les services de police qui se spécialisent dans la prévention de la délinquance juvénile au cours des années 1950. Durant l’été 1959, le fameux été des « blousons noirs », une vaste opération policière conjointe entre différents services, dite « opération vacances », est lancée du 15 juin au 15 septembre sur la côte des Alpes maritimes. Il s’agit surtout d’action de fichage, de repérage, de contrôle et de patrouille, voire d’interpellations, même si ces dernières se concluent la plupart du temps par une simple admonestation. L’objectif principal est d’arriver à contenir les effets négatifs de cette migration saisonnière massive des adolescents en établissant la « liste des points les plus sensibles du littoral grâce à l’examen des statistiques rassemblées ». Une surveillance accrue de tous les lieux de rassemblement ou de séjour des jeunes est ainsi organisée par des rondes régulières aux abords des cafés, kermesses de jeux, disquaires, hôtels, pensions, camps de jeunesse, terrains de campings, centres de vacances ; en particulier les « pôles d’attractions nocturnes » (dancings, music-halls, cabarets, boîtes pour homosexuels)… ainsi que la nuit sur la route de la côte et les plages. Cette opération donne naissance à la brigade des mineurs.
Texte : Mathias Gardet
Source : Revue internationale de criminologie et de police technique, n°3, juillet-septembre 1961
Crédit : droits réservés
Confession d’un blouson noir (1961)
Entre 1959 et 1962, l’ensemble de la presse s’empare du phénomène Blousons noirs, faisant le lien entre plusieurs faits divers qui avaient comme point commun des rixes entres bandes juvéniles. Chaque journaliste tire alors le portrait d’un de ces jeunes sans foi ni loi qui semblent désabusés par la société adulte. Malgré la pression médiatique et la peur sociale qu’elle engendre, les rapports de police qui se succèdent durant la période restent plus mitigés et font part de leur difficulté à dénombrer les bandes. Des chiffres circulent, fantasmés plus que vérifiés. Il y aurait ainsi 3000 blousons noirs à Paris et 2500 sur toute la France. A partir de 1962, l’intérêt des médias s’émousse pour ces bastons qui restent somme toute très localisées et la focalisation sur le comportement des bandes se relâche les laissant vivre leur vie, avec leurs escarmouches, comme elles le faisaient avant d’être sous les feux de l’actualité.
Source : L’intransigeant, 22 novembre 1961
Crédit : Paris-Presse
Blousons noirs friands d’auto-tamponneuses (1962)
« Gang des Tricheurs …gang des Blousons Noirs …bande de Blousons Noirs », un changement d’appellation qui se réalise progressivement en France, à partir de 1959, pour désigner des groupes de jeunes. De 1959 à 1962, ces bandes de « Blousons Noirs » ont été diabolisées par une grande partie des médias. La presse explique que ces bandes sont organisées, qu’elles ont des chefs, des codes, un costume et des armes. C’est donc à coups de triques et de chaîne de vélo qu’on va défendre son territoire et s’affronter entre bandes. Pour se déplacer à ces « bastons » c’est la « tire » ou la « mob » qu’on emprunte… c’est parfois l’accident… on va aussi au bal, à la fête foraine, au cinéma, aux concerts de rock où l’on renverse les sièges et on casse… On attribue en effet aux blousons noirs des actes de vandalisme en grand nombre. Parfois même des meurtres, comme ici dans l’article de Paris-Match, qui évoque un fait-divers, insinuant la présence de blousons noirs.
Source : Paris-Match, avril 1962, n° 679/14, p 71
Crédit : Paris Match
Bandes de jeunes de tous les pays (1962)
Le phénomène des Blousons noirs (rixes entre bandes de jeunes reconnaissables par le port de ce fameux blouson) largement monté en épingle par les médias français entre 1959 et 1962, prend d’autant plus d’ampleur que les journalistes le présentent comme un vent de folie qui aurait fait tourner la tête des adolescents de tous les pays européens et même au-delà. Les bandes de jeunes étrangères sont ainsi dotées chacune de leur surnom qui permet d’en dresser un portrait-type : les Italiens ont leurs Vitelloni ("les gros Veaux") qui deviendront célèbres avec le film de Fellini, les Anglais ont leurs Teddy boys (du nom de leurs vêtements d’inspiration édouardienne, un gros titre d’un journal de 1953 ayant utilisé le diminutif Teddy pour Edward, auquel fut adjoint le terme boy, garçon en anglais), les Suédois leurs Skunna Folk (ou demi voyous), les Allemands leurs Halbstarken (demi sels), les Américains leurs Teen-agers (américanisme dérivé de -teen, finale des nombres allant de thirteen, treize, à nineteen, dix-neuf) incarnés par le très inquiétant Marlon Brando dans L’équipée sauvage et le très paumé James Dean dans La fureur de vivre, les Japonais leurs Taio-Zoku (ou adorateurs du soleil)... Tous ces modèles très largement commentés par la presse semblent être une source d’inspiration pour les jeunes français en mal de « bêtises » à commettre. Ils disparaissent de la scène médiatique tout aussi rapidement qu’ils étaient apparus à partir de 1962 et plus personne ne semble s’inquiéter des agissements des bandes juvéniles, jusqu’à ce qu’une autre jeunesse fasse la une de l’actualité en mai 1968.
Texte : Mathias Gardet
Source : La voix des parents, octobre 1962
Crédit : droits réservés
Cri d’appel d’un blouson noir (1962)
Ce texte se veut être un roman-vérité écrit à trois voix : celle de « Moustache », un garçon de 18 ans, un mal aimé, un vrai blouson noir, qui a connu plusieurs placement dans des institutions judiciaires, qualifiées de « maisons de redressement » ; celles de l’étudiant Charles et du quadragénaire François-Dominique qui le rencontrent, décident de le protéger et se veulent les transmetteurs de son témoignage authentique, qu’ils agrémentent d’un commentaire pseudo-psychologique. Tous trois signent sous un pseudonyme pour préserver leur anonymat qui semble-t-il n’a pas été dévoilé jusqu’à aujourd’hui. Cet ouvrage préfigure la publication de récits de vie d’ex-délinquants qui feront florès dans la décennie suivante. Par cet écrit les deux observateurs extérieurs cherchent à nous introduire dans la quotidien des « gars du square » : « Dans un coin du square, il y a un groupe compact, mais en perpétuel mouvement sur lui-même, des garçons de douze à dix-huit ans autant qu’on puisse en juger ; ils sont là une bonne trentaine. Une ou deux filles, rarement plus. En clignant des yeux, on croirait voir le rassemblement d’une société, sportive, culturelle, ésotérique... on ne sait. L’uniforme domine : blue-jeans à quatre-vingts pour cent, blouson de faux daim ou de cuir pas forcément noir (tenez en voici un rouge), cheveux dans l’ensemble très longs. ça palabre, ça joue de la guitare ; ça gueule, ça s’engueule ; ça se bagarre soudain avec violence ; ça se calme ; ça interpelle les passants »... Puis, ils nous plongent dans leur univers à travers la voix crue de « Moustache » : "Ils aiment glandouiller dans les rues de Paname en esgourdant les croquants, les truands, les gisquettes jacter l’argomuche, se foutre de la gueule des grosses légumes, ces gros ploucks. Ils aiment aussi le « Kinos » où ils passent leur temps à voir des films tels que Touchez pas au grisbi [...] Ils aiment la verdure. C’est pourquoi ils affectionnent les squares, où ils ont l’impression d’être libres ; ils peuvent s’y réunir en amis, blaguer, jouer de la guitare, ce qu’ils ne peuvent pas faire en pleine rue. Ils aiment aussi raconter des histoires de cul, ou leurs dernières conquêtes, leurs histoires de taule, qui sont comme toujours mouvementées ou exagérées ; ils y ajoutent ce qu’ils auraient dû faire pour ne pas se faire piquer."
Texte : Mathias Gardet
Source : couverture d’un livre de témoignage , Cri d’appel d’un blouson noir, Editions Fayard, 1962
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Une fille qui commande les bandes (1962)
Bien que Marcel Carné campe une figure de fille cheffe d’une bande de "gars" dans son film Terrain vague, sorti en 1960, et que la presse de temps à autre la met en scène, en général la délinquance des jeunes filles est passée sous silence. Plutôt que de les présenter dans un rôle de leader, on s’inquiète surtout de leur sexualité et de leurs mauvaises fréquentations en insistant sur leur caractère faible et influençable. De peu de jugeote, elles seraient des femmes-objet et des proies faciles et ingénues. Il faut attendre les tout récents travaux de la sociologue Stéphanie Rubi (Les « crapuleuses », ces adolescentes déviantes, Paris, PUF, 2005) pour mettre en lumière les phénomènes de sociabilités féminines en bande.
Source : Reportage de Victor Franco, "Les nouveaux petits voyous", Candide, 19-26 sept 1962
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« Donnez nous notre chance » (1963)
A la suite d’un article sur les Blousons noirs dans Paris-Match, un jeune témoigne dans le courrier des lecteurs du journal. Une lettre touchante qui met en avant la fragilité de ces adolescents présentés comme des jeunes violents et sans morale, puisqu’ici le suicide et le désespoir sont au coeur de l’argumentaire. Ce courrier sera suivi la semaine suivante par une information aux lecteurs indiquant que le jeune D. a trouvé un employeur, ému par son appel et prêt à l’aider.
Texte : Véronique Blanchard
Source : Paris-Match, 1963
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Une sorte d’immense Chicago (1963)
Source : L’Aurore, 15 octobre 1963
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