Établissements publics et privés pour mineur-e-s (1880)
À partir du milieu du XIXème siècle on assiste à un essor des colonies privées malgré les réticences de l’Administration pénitentiaire.
La loi du 5 août 1850 « sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus » donne la priorité à l’initiative privée, ne prévoyant qu’en cas de défaillance de cette dernière, et dans un délai de cinq ans, la mise en place de colonies pénitentiaires ainsi que de colonies correctionnelles publiques. Cette loi vient donc confirmer le modèle de la colonie agricole privée rendu célèbre par l’exemple de Mettray (près de Tours) et donne naissance à un parc d’établissements privés qu’il reste encore à recenser précisément tant les créations se multiplient. Pour les garçons, alors que seule une dizaine de colonies publiques sont créées, une cinquantaine d’établissements privés sont fondés entre 1838 et 1850, plus d’une dizaine de nouveaux entre 1851 et 1856. Pour les filles, seule une colonie publique existe alors que l’ordre du Bon Pasteur d’Angers met en place à l’échelle nationale un réseau d’une trentaine d’institutions, tandis que la congrégation plus ancienne des filles de Notre Dame de la Charité a constitué une vingtaine de refuges et celle des sœurs de Marie-Joseph ou ordre de la Solitude de Nazareth, filiale « des sœurs des prisons », fonde une dizaine de maisons dites de « préservation » ou « Solitudes », sans parler de la multitude de congrégations plus locales qui peuvent avoir chacune plusieurs filiales. Les tableaux statistiques fournis par l’Administration pénitentiaire depuis 1852 montrent que si au départ l’AP utilise parcimonieusement ce réseau (environ une dizaine de pupilles par établissement, ce qui représente tout de même 262 jeunes filles au total), en 1870 en revanche, c’est par dizaines, voire par centaines qu’elles sont confiées dans chaque établissement (1006 jeunes filles au total).
Texte : Mathias Gardet
Sources : Tableaux statistiques des établissements d’éducation correctionnelle, Administration pénitentiaire, 1852, 1870, 1880. Statistiques des prisons et établissements pénitentiaires présentées par les inspecteurs Louis Perrot, Jules Jaillant et Louis Herbette. Documents mis en ligne sur le site de l’ENAP
Établissements publics et privés pour mineur-e-s (1900)
Un recul temporaire des colonies privées mais aussi une désaffection des colonies publiques. Une série de rapports hostiles aux colonies privées émanant d’inspecteurs des prisons ou des plus hauts dirigeants de l’Administration pénitentiaire tente dans un premier temps d’en limiter l’essor. Puis de façon plus efficace, à partir de 1870, ces mêmes responsables administratifs imposent des normes, des contrôles tatillons et un règlement national contraignant qui limitent leur part d’autonomie et accentuent les aspects répressifs de la prise en charge. Ils parviennent progressivement non seulement à obtenir l’ouverture de plusieurs colonies publiques à gros effectifs, mais aussi par effet de balancier à provoquer la fermeture d’un certain nombre de leurs homologues privées, ou tout du moins le retrait de leur autorisation à recevoir des mineurs envoyés par les tribunaux. En 1889, pour la première fois, il y a plus de garçons en correction détenus dans des colonies publiques (2.616 soit 55,83 %) que dans les colonies privées (2.072, soit 44,17 %). Ces dernières connaissent alors un déclin certain : 56 colonies privées en 1880, 22 en 1889, 20 en 1895, 18 en 1902, 15 en 1908, 8 en 1912. À la veille de la première guerre mondiale, la proportion d’établissements entre secteur privé et secteur public s’est donc inversée par rapport au milieu du XIXe siècle. Mais cette nouvelle configuration va être de courte durée.
Texte : Mathias Gardet
Sources : Tableaux statistiques des établissements d’éducation correctionnelle, Administration pénitentiaire, 1890, 1900. Statistiques des prisons et établissements pénitentiaires présentées par les inspecteurs Fernand Duflos et Périclès Grimanelli. Documents mis en ligne sur le site de l’ENAP
Établissements publics et privés pour mineur-e-s (1934)
Un secteur relevant majoritairement de l’initiative privée. Les colonies agricoles pénitentiaires publiques créées entre 1850 et 1880, devenues depuis 1927 institutions publiques d’éducation surveillée, se maintiennent sans grand changement, tandis que le secteur privé, mis un moment à mal au tournant du XIXe-XXe siècle, reprend tout son essor dans l’entre-deux-guerres couvrant, selon un maillage dense d’institutions et de sociétés de patronage, l’ensemble du territoire.
Texte : Mathias Gardet
Sources : Listes des œuvres habilitées à recevoir des mineurs délinquants, publiées par le ministère de la Justice, Melun, imprimerie officielle, 1934
L’enfermement des filles et le placement des garçons (1934-1940)
Les listes d’œuvres autorisées à recevoir des jeunes traduits en Justice, publiées par l’Administration pénitentiaire des années 1930 jusqu’aux années 1940, distinguent les structures qui fonctionnent en internat, systématiquement qualifiées d’institutions fermées, des sociétés de patronage qui privilégient le placement chez des particuliers, généralement dans le monde agricole, elles sont par opposition qualifiées d’œuvres ouvertes. Il en ressort le même constat, déjà dressé à la fin XIXe siècle, que la société française préfère la première solution pour ses jeunes filles, qui sont confiées la plupart du temps à des congrégations religieuses d’ordres cloîtrés, tandis qu’elle place plus facilement ses garçons à la campagne suivant le mythe de la rédemption par le bon air et de l’inversion de l’exode rural pour des paysans, qui sont plus à la recherche de bras que du retour d’un enfant prodigue.
Texte : Mathias Gardet
Sources : Listes des œuvres habilitées à recevoir des mineurs délinquants, publiées par le ministère de la Justice, Melun, imprimerie officielle, 1934-1940
Une configuration judiciaire à l’épreuve de la carte religieuse (1934)
Les placements de jeunes filles pratiquées de façon quasi systématique par les juges (comme continueront à le faire plus tard les juges des enfants jusqu’à la fin des années 1950) s’effectue généralement en fonction de leur carnet d’adresses. En tant que notables dans leur fief judiciaire, quelques soient leurs convictions, tout l’art est de savoir cultiver des relations, notamment avec les personnalités religieuses du cru. Or, les limites des cours d’appel se retrouvent face une France religieuse beaucoup plus morcelée, dans laquelle les évêques jouent un rôle décisionnaire déterminant, mais dont les frontières sont souvent transcendées par les supérieures des congrégations religieuses dont les maisons mères émargent sur plusieurs diocèses tout en devant négocier diplomatiquement avec le clergé local.
Texte : Mathias Gardet
Sources : Listes des œuvres habilitées à recevoir des mineurs délinquants, publiées par le ministère de la Justice, Melun, imprimerie officielle, 1934
Établissements publics et privés pour mineur-e-s (1945)
Une implantation territoriale identique mais une expansion de l’internat.
La comparaison entre les deux cartes d’implantation des œuvres autorisées à recevoir des jeunes traduits en Justice montre de façon frappante la grande permanence du paysage associatif privé. L’ordonnance du 2 février 1945 ne vient donc pas révolutionner les pratiques des juges en la matière, sauf si l’on regarde le statut des structures d’accueil. Paradoxalement, l’après-guerre va ainsi contribuer à augmenter la prise en charge en milieu dit « fermé », surtout en ce qui concerne les garçons, au détriment des placements agricoles pratiqués par les sociétés de patronage. Ces dernières vont ainsi participer à leur tour à la fondation d’institutions d’accueil en internats. Ce n’est qu’à partir de 1958, que l’on redécouvre le milieu que l’on appelle à nouveau « ouvert ».
Sources : Listes des œuvres autorisées à recevoir des mineurs délinquants, publiées par le ministère de la Justice, Melun, imprimerie officielle, 1945
Mathias Gardet, HDR/2013
L’accueil des filles de Justice : ouvert ou fermé ? (1964)
Deux logiques de placement des filles en apparence contradictoires mais en fait complémentaires. À la suite de l’ordonnance du 23 décembre 1958, la direction de l’Éducation surveillée semble avoir encouragé avec efficacité l’implantation de services en milieu ouvert mixte dans les principales villes et, dans une moindre mesure, la formule de quelques foyers de semi-liberté pour les filles. Cependant, le maintien en parallèle du réseau des principaux internats et, en particulier, de ceux gérés par les congrégations dites du Bon Pasteur, nous invite à questionner la réalité de cette politique d’ouverture. Le constat dressé en 1962 par Marguerite-Marie Michelin (Mme Jean Michelin, de la célèbre famille Clermontoise, surnommée MMM), dix ans après avoir créé l’association nationale d’entr’aide féminine (ANEF, déclarée à la Préfecture de police de Paris en tant qu’association loi 1901, le 4 janvier 1952), dont le but était de « soutenir et coordonner l’action de tous ceux qui, en dehors de toute préoccupation politique ou confessionnelle, s’occupent de la réadaptation sociale des jeunes filles n’ayant pas atteint 25 ans, sorties officiellement des internats de rééducation ou de semi-liberté », souligne le peu d’évolution de la prise en charge des filles depuis la fin du XIXe siècle : « Vous savez qu’en France, les internats de rééducation pour la délinquance féminine sont tenus à 90% par des religieuses cloîtrées. Il s’y fait un très bon travail de rééducation proprement dite. La réinsertion dans la vie ne peut y être préparée que de façon assez théorique, les éducatrices-religieuses ne pouvant guider leurs jeunes, lorsque celles-ci accèdent à la liberté. Les filles sortaient avec un petit pécule, un petit trousseau, un petit bagage professionnel et une place… Vous savez aussi que la première place est rarement la bonne. » En dehors des expériences pilotes du département de la Seine, le travail en milieu ouvert et les foyers de semi-liberté concernent en fait dans un premiers temps essentiellement les jeunes filles mineures les plus âgées, celles qui ont plus de 16 ans, quand elles ne sont pas déjà de jeunes mères.
Texte : Mathias Gardet
Sources : Liste des établissements et services privés habilités à recevoir des mineurs délinquants et en danger, Ministère de la Justice, service de l’Éducation surveillée, imprimerie administrative de Melun, 1965
Les établissements de la Sauvegarde de Seine-et-Marne (1964)
Cette carte des différents établissements gérés par l’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Seine et Marne, dessinés en relief, permet de saisir d’un seul coup d’oeil le poids du bâtit ancien encore très prégnant au début des années soixante. A part l’institution des Longs Réages à l’Ouest dont l’architecture semble effectivement moderne pour la période, la plupart des autres institutions pour filles ou pour garçons sont installées dans de belles demeures historiques (plusieurs châteaux) ou des bâtiments de type conventuel ou caserne réhabilités pour l’accueil des jeunes, mais qui n’avaient pas été conçus pour cet usage. Le faste de certaines façades ne doit pas cacher l’indigence des aménagements intérieurs. L’architecture très ramassée présuppose de plus une vie communautaire encore sur la gestion collective, malgré l’annonce d’une pédagogie par petits groupes qui devra attendre les financements du Ve et du VIe plan d’équipement sanitaire et social pour obtenir l’annexion de pavillons ou de nouvelles architectures pensées had hoc .
Texte : Mathias Gardet
Source : Rapport annuel de l’ADSEA en Seine et Marne, 20e anniversaire, 1963