Notice
Débutant sa vie professionnelle comme institutrice dans une école primaire du canton de Neuchâtel, en 1903, Elisabeth Huguenin, née en 1885, poursuivra rapidement d’autres chemins afin de ne pas rester dans un métier qu’elle dit usant, solitaire et moralement exigeant comme elle l’a vu chez ses propres maîtresses d’école. A 23 ans, elle décide d’entrer à la Faculté des Lettres de l’Université de Neuchâtel dans le but de devenir écrivain. Confrontée à un milieu traditionnel, étroit, machiste, elle s’en va rechercher d’autres milieux plus proches de ses aspirations. Ainsi va-t-elle rencontrer la féministe Nelly Roussel, l’économiste anarchiste Silvio Gesell, le philosophe Pierre Bovet, le pédagogue Adolphe Ferrière qui tous lui ouvriront des perspectives nouvelles à commencer par l’éducation nouvelle qu’elle découvrira en passant deux ans à l’Odenwalschule auprès de son fondateur Paul Geheeb. Indéniablement cette expérience qu’elle relate dans son premier ouvrage publié en 1923, Paul Geheeb et la libre communauté de l’Odenwaldschule qu’elle complète avec celui sur La co-éducation des sexes en 1929, l’entraînera vers d’autres horizons. Son parcours l’amène à participer à des expériences, elles aussi nouvelles, comme celle de maîtresse d’une famille à l’Ecole des Roches (ouverte en 1899) où elle arrive en 1921. Elle y passera dix ans, son expérience la plus longue dans un internat. Comme dans nombres d’école dite « nouvelles », les enfants proviennent de milieux aisés. Ainsi, l’expérience qu’elle vit, dès 1932, en dirigeant le foyer de Soulins, une maison d’observation pour enfants difficiles dans le château de Brunoy en Seine-et-Marne regroupant une trentaine de filles et garçons du prolétariat des grandes villes, la marquera fortement – elle parle même de « voyage en enfer » – comme celle qu’elle poursuivra à l’Armée du Salut de Paris, où elle s’installe en 1934, à la Cité refuge construit par Le Corbusier, un compatriote neuchâtelois. Ces deux dernières expériences font l’objet de deux ouvrages Les tribunaux pour enfants et Les enfants moralement abandonnés, publiés en 1935 et 1936, qui sans nul doute participeront à faire d’Elisabeth Huguenin une pionnière de la médico-pédagogie dans une perspective de l’éducation nouvelle, ainsi qu’une féministe qui dispensera sa pensée dans six essais sur « La femme » avant que de s’installer de retour dans son pays de Neuchâtel comme conseillère en vocation féminine jusqu’à son décès en 1970.
Texte : Martine Ruchat