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Les aléas de la statistique judiciaire des mineur·e·s

Notice

En 1972, une grande étude sur la délinquance des jeunes en France est coordonnée par Maurice Levade, juge au Tribunal de grande instance de la Seine. Dans l’introduction, Henri Michard, directeur du centre de formation et de recherches de l’Éducation surveillée de Vaucresson, affirme que les statistiques criminelles présentées par le ministère de la Justice ne peuvent mesurer la délinquance juvénile effective mais qu’elles traduisent « le fonctionnement d’une institution, en un territoire donné, à un moment donné, et par rapport à une population donnée ». Il signale des distorsions majeures dans les modes de calculs.
Tout d’abord les outils statistiques manquent de fiabilité quand ils ne sont pas comparables selon les époques : ainsi les comptes du XIXe siècle sont plus sommaires et incluent des catégories et des populations non retenues par la suite. Ensuite pour évaluer l’augmentation ou la diminution présupposée du nombre de jeunes délinquants - qui n’a aucun sens en valeur absolue - il souligne la nécessité de tenir compte des variations démographiques de chaque classe d’âge. Il évoque aussi le rôle déterminant des modifications de la législation en la matière qui introduisent de nouveaux délits ou au contraire en dépénalisent d’autres, qui incluent ou à l’inverse excluent des populations en deçà ou au-delà de tel ou tel âge. Il rappelle de plus que l’unité de calcul utilisée est celle des affaires de mineur·e·s jugé·e·s, c’est-à-dire uniquement celles qui sont déférées devant les tribunaux. Or ces affaires sont l’aboutissement d’un long circuit institutionnel au cours duquel interviennent de nombreux filtres. Il évoque un premier filtre, celui de la détection et du plaignant : il ne suffit pas qu’un délit soit commis, encore faut-il qu’il ait été repéré et qu’il soit dénoncé. Le second filtre est celui de la police qui, suite à une dénonciation ou à une arrestation en flagrant délit, peut décider de classer l’affaire ou bien donner suite, en fonction notamment des moyens et des urgences dictées par les politiques. Le troisième filtre est celui du Parquet qui décide de l’opportunité de déférer une affaire en jugement. Le dernier filtre est celui du jugement, plusieurs exceptions ayant existé quant à l’enregistrement dans les statistiques, le juge des enfants ayant eu pendant une période le pouvoir de classer sans suite. Par ailleurs, les statistiques annuelles proposées ne sont pas le reflet de la réalité du moment, étant donnée la durée de la procédure pénale qui entraîne souvent des décalages entre l’instant de l’infraction et celui où l’affaire passe en jugement. Enfin, qui dit cas jugé ne veut pas dire automatiquement reconnu coupable, cette subtilité échappe aussi aux statistiques. Henri Michard bouscule ici les idées reçues en démontrant qu’une attitude répressive ou « éducative », concourent à intensifier la détection et par ricochet le nombre de jeunes délinquants comptabilisés.

Texte : Véronique Blanchard, Mathias Gardet

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