Code civil de 1804 caricaturé (1904)
Cette caricature tirée du journal satirique L’assiette au beurre - un journal hebdomadaire qui suivant les thèmes tire entre 25 000 et 40 000 exemplaires - dénonce la pratique abusive de la « correction paternelle », une mesure d’Ancien Régime reconduite par le code civil de 1804 dans son titre IX intitulé « De la puissance paternelle ». Celle-ci donne aux pères (mères ou collatéraux en cas de décès de ce dernier) un pouvoir de correction sur leurs enfants jusqu’à l’âge de 21 ans. Sans avoir à justifier les raisons de son mécontentement, un père peut ainsi exiger l’arrestation et la détention de son fils ou sa fille. Ce pouvoir de correction paternelle, bien que de plus en plus endigué par les juges, ne disparaîtra progressivement qu’à partir de 1958.
Texte : Mathias Gardet
Source : L’Assiette au beurre, n°190, « Le sauvetage de l’enfance », 19 novembre 1904, p. 3146
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Code pénal (1810)
Le Code pénal est mis en place par Napoléon Bonaparte le 12 février 1810. Il est d’abord publié en reprenant le titre du Code des délits et des peines de 1791 qu’il remplace, avant d’être aussitôt renommé. Il reste en vigueur jusqu’à son remplacement par le nouveau Code pénal le 1er mars 1994. Bien qu’il s’inspire en grande partie du code de 1791, il est considéré comme un des premiers codes introduisant une justice différenciée pour les mineurs (moins de 16 ans à l’époque). A travers ses articles 66 et 67, il déclare qu’un accusé mineur peut être acquitté comme ayant agi sans discernement. Autrement dit, le juge a le pouvoir de décider si ce dernier, reconnu coupable et dont le délit est attesté, a eu conscience de son acte. Dans l’application de ce critère, se profilent souvent des jugements sur le « milieu » d’où il provient (pauvreté, maladies, alcoolisme…). Si le mineur est condamné comme ayant agi avec discernement (art. 67), il bénéficie généralement d’une atténuation des peine au regard de son âge. S’il est au contraire acquitté (art. 66), il est soit remis à ses parents, soit la plupart du temps retiré pour être soustrait à leur « mauvais milieu » et placé dans une institution pour une durée paradoxalement souvent plus longue que les jeunes condamnés. En effet, l’enfant étant acquitté, son placement n’est plus déterminé par des critères de majorité pénale mais en fonction de son âge civil. Il peut donc parfois se prolonger jusqu’à l’âge de 21 ans. Dans son chapitre II ayant trait au vagabondage, le Code pénal précise par ailleurs que ce dernier constitue un délit.
Code pénal de 1810 caricaturé (1908)
Cette caricature tirée du journal satirique L’Assiette au beurre - un journal hebdomadaire qui suivant les thèmes tire entre 25 000 et 40 000 exemplaires - est une charge contre le pouvoir discrétionnaire des juges. Ces derniers, en s’appuyant sur l’article 66 du Code pénal qui prévoit un acquittement des mineurs « comme ayant agi sans discernement », peuvent en effet dans la même mesure décréter un placement autoritaire dans l’une des colonies pénitentiaires agricoles existantes, établissements souvent perçus dans l’imaginaire populaire comme des « maisons de correction » et dénoncés par la presse comme des « bagnes pour enfants ». Leur séjour est paradoxalement souvent plus long que celui des jeunes condamnés. En effet, le placement de l’enfant acquitté ne se fait plus selon des critères de majorité pénale (16 ans à l’époque) mais en fonction de son âge civil : il peut donc se prolonger jusqu’à l’âge de 21 ans.
Texte : Mathias Gardet
Source : L’Assiette au beurre, n°389, 12 septembre 1908
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Article 1-4 de l’ordonnance de février 1945 (1945)
Les premiers articles de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante étendent le principe d’irresponsabilité pénale - qui avait déjà été édicté pour les mineurs de moins de 13 ans avec la loi du 22 juillet 1912 - aux moins de 18 ans. Ces derniers ne sont dorénavant justiciables que des tribunaux pour enfants, qui ne prononceront à leur égard que des mesures de protection, de surveillance, d’éducation ou de réforme. Le texte introduit toutefois quelques réserves, en permettant dans certains cas de prononcer des condamnations pénales pour les mineurs âgés de plus de 13 ans et même en donnant le droit parfois de ne pas retenir l’excuse atténuante de minorité pour ceux âgés de plus de 16 ans. L’article 4 réaffirme, quant à lui, la nécessité de nommer des magistrats spécifiques nommés « juge des enfants » et, pour la première fois, il sera suivi d’effet avec la désignation effective de premiers professionnels agissant à ce titre dans certains tribunaux..
Exposés des motifs (1945)
L’ordonnance du 2 février 1945 est l’oeuvre d’une commission constituée dès la Libération auprès de François de Menthon, le nouveau ministre de la Justice. Cette commission dont les travaux durent trois mois est présidée par Hélène Campinchi, avocate à la Cour d’appel de Paris, et reçoit le précieux concours de Pierre Ceccaldi, brillant fonctionnaire de l’Administration pénitentiaire et futur artisan de la direction de l’Education surveillée. Contrairement à l’image qu’elle véhicule, l’ordonnance du 2 février 1945 n’est pourtant pas sur un plan juridique un texte de rupture, introduisant pour la première fois le primat de l’éducatif sur le répressif. Elle est plutôt la consécration d’idées en germe depuis le XIXe siècle et elle s’inscrit explicitement dans la lignée d’autres textes comme la loi du 22 juillet 1912 « sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée » ou bien celle du 27 juillet 1942 « relative à l’enfance délinquante », jamais appliquée. Elle s’inspire aussi des travaux parlementaires des années 1930, notamment une proposition de résolution déposée en 1937 par le député radical César Campinchi (l’époux d’Hélène Campinchi), mais aussi de l’expérience avancée en ce domaine du Tribunal de la Seine. Le message délivré avec force dans l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 est peut-être davantage entendu suite au traumatisme lié à la guerre, au sentiment de réparation vis-à-vis des enfants victimes du conflit et à la peur de la dénatalité. « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Cette célèbre phrase de l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945, qui date en réalité de 1937, n’en a que plus de portée..
Chiens perdus sans collier (1955)
Le dialogue entre un juge des enfants et un gamin, en lien avec l’image, est tiré du film célèbre de Jean Delannoy, Chiens perdus sans collier, sorti en 1955, lui-même librement inspiré du best-seller homonyme de Gilbert Cesbron (1954). Il consacre la figure paternelle du juge des enfants à travers le rôle de « Monsieur Lamy » incarné par l’acteur très populaire Jean Gabin. Cette scène illustre en revanche les limites données à cette nouvelle fonction par l’ordonnance du 2 février 1945, les juges des enfants n’étant appelés théoriquement à intervenir que dans le pénal et devant alors « inventer » un délit pour s’occuper des enfants dits « en danger moral ». En fait, par un tour de passe-passe, ils continuent à garder un pied dans le civil en utilisant très largement les mesures de protection en vagabondage et de correction paternelle. Il faudra attendre l’ordonnance du 23 décembre 1958 pour que leur domaine d’intervention soit légitimé dans le droit civil par le
© Franco-London-Films, 1954
Exposés des motifs (1958)
L’ordonnance du 23 décembre 1958 en matière de protection judiciaire de l’enfance modifie les articles 375 à 382 du Code civil et se veut complémentaire de l’ordonnance du 2 février 1945, en légitimant officiellement l’intervention étendue du juge des enfants aussi bien au pénal qu’au civil. Ces derniers devaient recourir jusqu’alors à un tour de passe-passe, par le biais des mesures de protection en vagabondage et de correction paternelle pour agir dans ce domaine. L’ordonnance de 1958 dispose en effet que le juge des enfants a compétence pour prononcer toute mesure de protection et d’éducation à l’égard des mineurs de 21 ans dont « la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises ». Ces termes étaient déjà utilisés dans l’article 2 de la loi de juillet 1889 révisée par le décret de 1935. Cette assistance éducative qui multipliera les dossiers roses (pour les distinguer des dossiers verts du pénal) s’exerce soit au sein de la famille, c’est l’action éducative en milieu ouvert (AEMO), soit dans le cadre d’un placement. Le magistrat doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion des parents à la décision. Une partie de l’argumentaire venant justifier cette double compétence du juge des enfants, figure dans l’exposé des motifs, reprenant le vieil amalgame entre enfants dangereux et enfants en danger. Ces derniers, dont le seul "délit" est d’avoir subi des violences, sont ainsi présentés comme "prédestinés à la délinquance et aux formes graves de l’inadaptation sociale".
Texte : Mathias Gardet