Le Temps (15 février 1899)
Le Temps , quotidien publié à Paris depuis 1861, tire à 22 000 exemplaires en 1880, devenant ainsi le journal le plus important de la Troisième République et s’imposant comme le journal de référence destiné aux élites. Dans cet article consacré à la délinquance juvénile, nous pouvons noter plusieurs imprécisions. Tout d’abord sur la catégorie retenue de « jeunes délinquants » : alors que le code pénal fixe encore à l’époque l’âge de minorité/majorité à 16 ans, on s’aperçoit avec surprise que le décompte effectué par le journal lui repose sur les 16-20 ans, donc des délinquants qui devraient être considérés comme majeurs et adultes. Par ailleurs l’article intitulé « Le crime à Paris » qui serait en forte augmentation (il aurait quadruplé) comptabilise des actes commis se référant essentiellement à des délits et non à des crimes : les vols (2600 arrestations) et... le vagabondage (2500 arrestations) ou la mendicité (627 arrestations) ; les assassinats étant eux en comparaison en très faible quantité : 10 et encore, parmi eux, certains ne seraient que des tentatives d’assassinats. Par ailleurs loin d’être en augmentation les chiffres présentés pointent plutôt une diminution entre 1897 et 1898. Enfin la source citée pour avancer ces chiffres est pour le moins floue : « La Statistique », une entité des plus virtuelles qui nous laisse rêveurs...
Texte : Mathias Gardet
Le Journal (27 décembre 1901)
Le Journal fondé en 1892 devient un des quatre plus grands quotidiens français d’avant la première guerre mondiale, avec un tirage de 450 000 exemplaires dès la fin du XIXe siècle. C’est au départ un journal littéraire de tendance républicaine. Cet article du 27 décembre 1901 annonce une augmentation inquiétante de près de 50% du nombre d’enfants délinquants en l’espace de 20 ans. Cette information est en fait issue d’une conférence donnée par le juge d’instruction Louis Albanel (1854-1928) qui cherche par la même occasion à justifier l’action entreprise par la société de patronage qu’il a créée un an plus tôt. Même si théoriquement son patronage familial entend développer plutôt une action préventive et cherche à favoriser « la protection, dans la famille, de l’enfance en danger moral », Louis Albanel veut aussi alerter l’opinion publique sur la trop grande clémence des tribunaux qui par ordonnances de non lieu et acquittements auraient tendance à rendre dans leur grande majorité les enfants à leur familles. Il réclame quant à lui « la création d’établissement spéciaux dont la discipline appropriée peut, seule, empêcher les enfants qui lui sont envoyés de devenir des délinquants d’habitude, des récidivistes ».
Texte : Mathias Gardet
Le Petit Journal (1er février 1917)
Le Petit Journal fondé en 1863 est un quotidien parisien républicain et conservateur. l’un des quatre plus grands quotidiens français : il tire à un million d’exemplaires dès 1890. Dans cet article, le rédacteur en chef du journal Ernest Laut (1964-1951) dont le nom de plume est Jean Lecoq brandit la menace d’une augmentation de 50% de la délinquance juvénile depuis le début de la guerre, sans citer ses sources autrement que de façon virtuelle « La Statistique ». Constitués en bandes, ces « jeunes malandrins » n’hésiteraient pas à s’attaquer aux forces de police. La situation lui semble d’autant plus scandaleuse que dans la même temps une jeunesse héroïque est en train de se sacrifier pour la Patrie. Il s’insurge alors contre le fonctionnement de la Justice des mineurs qu’il estime trop laxiste et critique en particulier la notion de « non discernement » : « Mais vous savez ce qu’on fait de ces jeunes vauriens ? On les rend généralement à leur parents, sous prétexte que n’ayant pas encore dix-huit ans, ils sont incapables de discerner le bien du mal, la bonne farce ! ». Il demande qu’on en finisse avec « l’absurde fiction de la majorité pénale ». Même s’il pense que ces jeunes sont « impropres au service militaire », car selon lui trop « dégénérés, tarés, avariés », il estime qu’il faut supprimer les tribunaux pour enfants et les maisons de correction et même éviter de les enfermer dans « des prisons bien chauffées », pour les mettre tous au travail, « travail forcé » s’il le faut.
Texte : Mathias Gardet
Le Petit Parisien (22 avril 1931)
Le Petit Parisien fondé en 1876 est un des quatre principaux quotidiens de la Troisième République avec un tirage de plus de deux millions d’exemplaires dans l’entre-deux-guerres. Dans cet article, Vincent Moro-Giafferi (1878-1956), membre du Conseil de l’ordre des avocats du Bureau de Paris, appelle de tous ses voeux une large refonte du code pénal, réclamant « une conception plus réaliste de la défense sociale » par le biais d’une action préventive et d’une « thérapeutique mieux conçue ». S’appuyant sur les « statistiques » mises en avant dans le dernier congrès d’anthropologie, il énonce à son tour l’idée que 80% des jeunes délinquants seraient en fait des cas médicaux avec de plus une lourde hérédité familiale. Il préconise donc une extension de la déchéance de la puissance paternelle ainsi qu’une intervention accrue des médecins psychiatres avec la création d’hôpitaux-prisons.
Texte : Mathias Gardet
Le Matin (23 juillet 1937)
Le Matin , un des quatre grands quotidiens du début du XXe siècle connaît une baisse de son tirage (300.000 exemplaires tout de même) à partir des années 1930 de part son orientation conservatrice penchant de plus en plus vers l’extrême droite. Le 37 juillet 1937, il est pourtant un des rares à annoncer en première page une « heureuse réalité » qui se traduirait par une baisse importante de la délinquance juvénile. L’article est signé par le médecin neuro-psychiatre Jacques Roubinovitch à qui a été confié depuis quelques années un service d’accueil et d’observation au sein de la prison de Fresnes, qui reçoit en dépôt les jeunes mineurs envoyés par les tribunaux. Cette note optimiste est cependant tempérée dans le corps du texte par une explication législative ayant des conséquences immédiates sur les statistiques. Depuis le décret-loi d’octobre 1935, le vagabondage n’est plus considéré comme un délit pour les mineurs de 18 ans. Si Jacques Roubinovitch estime que cette nouvelle mesure est un bienfait pour ceux qu’il nomme des « vagabonds purs » ou « vagabonds simples », il explique qu’en 1936 il y a eu tout de même « pas mal de mineurs arrêtés également pour vagabondage mais compliqué d’actes qu’il était impossible de ne pas considérer comme des délits ou des crimes : coups et blessures, vols, tentative d’homicide ou incendies volontaires ».
Texte : Mathias Gardet
Paris-soir (22 06 1942)
Paris-soir , est un quotidien français fondé en 1923 qui connaît très vite un grand succès avec près de deux millions d’exemplaires à la veille de la Seconde guerre. En 1940, les locaux parisiens sont réquisitionnés par les Allemands qui en font un outil de propagande ; le tirage baisse alors à 300.000 exemplaires en 1942. Dans cet article, Marguerite Vincelot ou « Mag-Vincelot », femme journaliste et écrivaine couronnée par l’Académie Française en 1937, évoque à son tour une augmentation inquiétante de la délinquance juvénile. Malgré la désorganisation due à la guerre qui rend aléatoire l’utilisation de statistiques fiables, elle n’hésite pas à affirmer qu’en trois ans (1937-1940) leur nombre a triplé. Elle s’inscrit toutefois dans le mouvement de réforme donnant naissance à la Loi relative à l’enfance délinquante du 22 juillet 1942 qui préfigure la philosophie de l’Ordonnance du 2 février 1945. L’enfant est ainsi perçu plus comme une victime, notamment de la conjoncture de guerre, que comme un coupable. Une prise en charge éducative est jugée préférable à la répression.
Texte : Mathias Gardet
La Croix (9 février 1943)
La Croix , quotidien catholique fondé en 1883, tire à 100 000 exemplaires en 1939. Pendant la guerre, le siège du journal se retire à Bordeaux en zone non-occupée, puis à Limoge avec l’arrivée des Allemands. Cet entrefilet non signé s’appuie sur des propos tenus par le commandant Michel Caron (1899-1954) qui, depuis avril 1942, est directeur de Cabinet de l’Amiral Charles Platon (1886-1944), secrétaire d’Etat à la Famille et aux Anciens combattants au sein du gouvernement de Vichy. Malgré la désorganisation des services statistiques, les chiffres se veulent précis et alarmants : le nombre de jeunes délinquants se serait multiplié par 3 entre 1927 et 1939 ; tandis que celui des jeunes déférés au seul Tribunal de la Seine aurait fait plus que quadruplé entre 1938 et 1941. Mais au-delà du problème de la délinquance, est abordé la thématique de l’enfance dite malheureuse avec un usage de catégories pour le moins floues qui rendent leur décompte des plus hasardeux : il y aurait ainsi 70.000 « oisifs » en zone non occupée et 250.000 « jeunes déficients » ou « en danger moral » dans la région de Toulouse.
Texte : Mathias Gardet
Le Journal du Dimanche (22 novembre 1959)
Le Journal du dimanche , créé en 1948 par Pierre Lazareff, est le seul hebdomadaire national dominical d’informations générales publié en France. Ce long article est en fait un compte-rendu de l’ouvrage de Paul Chaulot et Jean Susini, deux fonctionnaires de la Sûreté nationale, qui vient d’être publié chez Hachette sous le titre : Le crime en France . Tout l’intérêt de cette recension c’est qu’elle s’inscrit à contre-courant de l’emballement médiatique autour du phénomène dit des « Blousons noirs », phénomène largement monté en exergue pendant l’été 1959 par la presse de l’époque à partir de l’accumulation de petits faits divers sur les exactions commises par quelques bandes de jeunes. Or, malgré les cris d’alarme de médias sur l’ampleur qu’aurait pris cette nouvelle forme de criminalité, les forces de police se montrent plutôt déconcertées par son manque de visibilité dans les interpellations et les statistiques à leur disposition. Paul Chaulot et Jean Susini pointent eux plutôt une stagnation qu’une aggravation. Ils rappellent, chose peu courante, qu’il est nécessaire de bien prendre garde à la démographie : « Il faut toujours considérer les chiffres de la délinquance juvénile en proportion : la France a rajeuni et le taux des enfants dans la population y est donc accru ».
Texte : Mathias Gardet
Source : Le Journal du dimanche, 29 nov 1959, p. 7. Bibliothèque ENPJJ, 16459-Laborde.
Le Figaro (5 novembre 1959)
Le Figaro , fondé en 1826 est un des plus anciens quotidiens de la presse française. C’est un journal de droite libérale et conservatrice. Dans ce graphique publié en 1959 sur l’évolution du nombre de mineurs délinquants, dont les sources ne sont pas citées, la courbe présentée entend montrer l’effet de la guerre sur le phénomène de la délinquance juvénile, alors même que les chiffres disponibles sur cette période sont des plus incertains étant donné la désorganisation des services administratifs. La courbe connaît une chute vertigineuse jusqu’au milieu des années 1950 pour reprendre ensuite une timide ascension. Le commentaire insiste aussi sur la différence de genre qui serait de l’ordre d’une fille pour dix garçons. Si effectivement la qualification de délinquante par les juges quand il s’agit des filles est plus rare, cela ne signifie pas que ces dernières ne sont pas déférées devant les tribunaux et ne font pas l’objet de mesure de placement parfois sur le long terme en institution. Elles sont ainsi invisibles pour la statistique de la délinquance mais n’échappent pas au jugement moral et judiciaire qui les condamne surtout pour leur conduite dite immorale. Pour une simple fugue ou une incartade, elles sont arrêtées pour vagabondage, soupçonnées de prostitution et enfermées pour de longues années. Les juges et les assistantes sociales n’hésitent pas à parler à leur égard de « délits » alors que les accusations dont elles font l’objet ne correspondent à aucune qualification dans le Code pénal.
Texte : Mathias Gardet
Midi libre (10 mai 1961)
Le Parisien libéré (27 juillet 1965)
Le Parisien libéré , journal quotidien régional fondé en 1944, deviendra Le Parisien en 1986. Sa ligne éditoriale est généraliste, centrée sur les faits divers et l’actualité locale. Dans cet article qui se veut alarmiste sur l’augmentation jugée « effrayante » de la délinquance juvénile, le journal n’en est pas à une approximation près. Premier intervalle d’erreurs dès le titre : les chiffres indiqués concernent les délinquants de moins de 21 ans en référence à l’âge de la majorité civile de l’époque (qui ne sera abaissée à 18 ans qu’en 1974). C’est occulter le fait que pour la justice pénale la majorité est, elle, déjà à 18 ans. Ainsi, tous les délits commis par des personnes de 19 à 21 ans ne peuvent être comptabilisés par la Justice des enfants. Deuxième marge d’erreurs le type de délits qualifiés de « nouvelle forme de banditisme » : les agressions perpétuées contre les femmes par des « gangs de lâches » sans jamais préciser de quel type d’agression il s’agit : agressions sexuelles, verbales ou bien vols, voire coups et blessures ? Quant à ces « gangs », il est bien précisé que les bandes de blousons noirs ont disparu (on pourrait dire en fait que la presse s’en désintéresse à partir de 1963-1964 et que le terme tombe alors en désuétude) et qu’il s’agit de groupe de 3-4 éléments seulement et dont les membres « auraient moins de 17 ans ». Dernier effet de manche : la présentation fantaisiste de graphiques dont le lecteur ne doit retenir que la courbe ascendante quitte à la faire chuter au milieu pour mieux reprendre son ascension. Mais qu’est-ce qu’une affaire résolue ? Ce n’est pas forcément une condamnation, cela peut-être aussi un non-lieu ou un acquittement. La forte différence entre « flagrants délits » et « arrestations » vient quant à elle justement questionner ce « flagrant délit ». Peu importe ces imprécisions, le sentiment d’insécurité est bel et bien distillé : « Bientôt peut-être les femmes n’oseront plus sortir seules le soir, comme c’est le cas dans les grandes villes américaines ».
Texte : Mathias Gardet
L’Humanité (9 mai 1967)
Le Monde (octobre 1980)
Le Monde , quotidien créé en 1944, tire à plus de 500.000 exemplaires à la fin des années 1970. Le journal est alors à son apogée. Dans cette brève qui s’interroge sur le nombre de mineurs délinquants, le journal s’appuie, chose n’est pas coutume, non sur les statistiques du Ministère de la Justice mais sur celles publiés par le Ministère de l’Intérieur qui rend compte des données de ses forces de police. Les sociologues comme Jean-Claude Chamborédon ou Jean-François Laé ont bien montré le premier filtre exercé par la police qui, tout en consignant chaque plainte sur son registre de main-courante, décide ensuite s’il y a lieu ou non de donner suite et de déférer le jeune auprès des tribunaux. Comme l’indiquent les chiffres cités, les policiers ne sont pas là pour qualifier un acte de délinquance mais pour intervenir en cas de trouble à l’ordre public signalé. Ainsi il est tout à fait possible comme montré dans l’article que le nombre de jeunes délinquants recensés par les tribunaux puise être en baisse alors qu’au même moment le nombre d’interpellations policières à leur égard soit lui en hausse. Cette dernière augmentation dépend en grande partie de la présence policière dans l’espace public. A la fin des années 1970, la police des mineurs exerce encore un double rôle de prévention de la délinquance et de protection. Les chiffres évoqués concernent ainsi les deux pans de son activité : les affaires de vols ou de toxicomanie où des mineurs sont impliquées mais aussi les affaires dans lesquels ils sont les victimes.
Texte : Mathias Gardet
Le Parisien (27 janvier 1982)
Le Figaro (27 mars 2009)
Direct Matin (15 juin 2011)
Direct Matin est un quotidien gratuit lancé en Ile de France en 2007 sous le nom de Matin Plus puis sous ce nom de 2010 à 2017. Il est distribué à environ 500 000 exemplaires. Dans cette article lanceur d’alerte sur la flambée inquiétante de la violence chez les jeunes de moins de 18 ans, le journal évoque les propos tenus par la Préfecture de police de Paris qui aurait évoqué une hausse sur cinq ans de 19,7% des violences mettant en cause des mineurs. Première imprécision : qu’est-ce que recouvre le terme « violences » ? Comme le dit l’Organisation Mondiale pour la Santé, ce mot peut désigner toute une série d’actes qui vont du harcèlement aux violences physiques, en passant par des violences sexuelles jusqu’à l’homicide. Dans la suite de l’article, il est énoncé que la moitié des violences commises par les jeunes à Paris aurait un « mobile crapuleux » : une expression qui, certes, rencontre un grand succès dans la presse mais appliquée à une telle variété de délits ou d’affaires de moeurs qu’il devient difficile d’en saisir le sens. L’article affirme enfin que les mineurs basculent dans la violence à l’âge de 12-13 ans et cite pour preuve des extraits hors contexte de propos tenus par Sébastien Durand, ex-consultant formé à Télécom, ayant occupé par la suite le poste de commissaire divisionnaire de police, chef de district et commissaire central à Nogent-sur-Marne avant de devenir conseiller auprès du préfet de police ainsi que par le pédagogue Eric Debarbieux connu pour ses travaux sur les violences scolaires. Dans un étrange amalgame, les sociabilités juvéniles propres à cet âge deviennent des terreaux fertiles à la formation de « bandes » plus ou moins organisées et éloignent ces pré-adolescents de leur sphère familiale les condamnant à une inévitable perte de repères.
Texte : Mathias Gardet