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Médias et statistiques de la délinquance juvénile

Notice

Depuis la fin du XIXe siècle les médias diffusent l’image d’une délinquance juvénile en augmentation sans que les statistiques officielles n’en fournissent une preuve tangible. En effet de plus en plus de titres de la presse, devenue grand public, comme Le Petit parisien, s’intéressent au fait criminel, que ce soient de « beaux crimes » ou de petites affaires sans relief. Par répercussion, ces chroniques alimentent des campagnes consacrées à la Sécurité publique, les jeunes délinquants des cités venant rejoindre une véritable armée du crime toujours plus nombreuse. Le sociologue Gérard Mauger analyse ainsi comment la chronique médiatique des « faits divers » et la mise en scène judiciaire des grands procès « donnent corps », au moins implicitement, à l’abstraction statistique, notamment dans les commentaires et interprétations des chiffres donnés par la police. Invariablement, la hausse et l’aggravation des délits présentées dans ces statistiques vient conforter le sentiment d’insécurité et incite à dénoncer les insuffisances policières et le laxisme judiciaire. Quant à la baisse, elle est, en général, versée au crédit de l’activité policière et judiciaire, accréditant ainsi l’effet dissuasif prêté aux politiques sécuritaires. Quoi qu’il en soit, en hausse ou en baisse, la publication des statistiques permet de réactiver l’intérêt politique pour « la sécurité ». Par ailleurs, l’histoire de longue durée met en évidence la discontinuité de la chronique médiatique et la continuité des séries statistiques. On peut attribuer cet intérêt sporadique des médias à des calculs politiques : de ce point de vue, les journalistes se comportent en « entrepreneurs de morale » capables, sinon de créer, du moins d’entretenir des « moral panics », mobilisant leur public en faveur d’un « ordre moral » menacé et détournant ainsi son attention de telle ou telle « question sociale » préoccupante. La mesure prise — sondages à l’appui — de l’ampleur du « sentiment d’insécurité » justifie alors l’intérêt médiatique accordé aux faits divers. Mais, en commentant les statistiques policières, en montant en épingle des séries de faits divers, en produisant et diffusant des reportages, en convoquant professionnels et experts, en interpellant les hommes politiques, les médias ont surtout le pouvoir d’imposer l’existence d’un « problème de société », de l’interpréter, d’en évaluer l’importance, bref de « faire l’événement ». L’exposé fait à la Chambre en 1911, par un des députés de Paris Georges Berry en est un bon exemple quand il déclare : « Il suffit de parcourir les journaux pour être fixé et pour voir que quotidiennement, les crimes augmentent d’une façon effroyable ».

Texte : Mathias Gardet

D’après Gérard Mauger, « Médias et délinquance », La Revue-Médias, n°23, hiver 2009, et Dominique Kalifa, L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque, Fayard, 1995

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