La guerre des boutons (1965)
Entre deux villages de Franche-Comté de la fin du XIXe siècle, une guerre enfantine fait rage à l’insu des adultes : celle qui oppose les garçons de Longeverne rangés derrière leur chef, Lebrac, à ceux de Velrans, menés par l’Aztec des Gués. De cette histoire d’inspiration autobiographique, l’instituteur et romancier Louis Pergaud a voulu de son propre aveu faire « un livre sain, qui fût à la fois gaulois, épique et rabelaisien ». « J’ai voulu, écrit-il, restituer un instant de la vie d’enfant, de notre vie enthousiaste et brutale de vigoureux sauvageons dans ce qu’elle eut de franc et d’héroïque, c’est-à-dire libérée des hypocrisies de la famille et de l’école. » C’est donc sur un ton volontairement léger, coloré et un brin nostalgique que Louis Pergaud décrit une guerre d’enfants qui en réalité s’avère de plus en plus brutale au fil du récit. Après la classe et durant leurs temps libres, les deux bandes de villages s’adonnent aux jets de cailloux, à la lutte au corps à corps et aux coups de bâton, de pied et de poing. Ceux qui d’aventure se font prendre sont fouettés à coups de verge et dépossédés de leurs boutons et autres effets personnels. La violence enfantine est ainsi naturalisée, perçue comme l’expression d’une force vitale juvénile que notre civilisation ne peut plus comprendre. Pour Louis Pergaud, elle est ainsi hypocritement réprimée par les pères de ces garçons qui se sont pourtant eux aussi livrés aux mêmes frasques d’enfance. A partir de sa parution au Livre de Poche en 1965, le roman a été orné de différentes couvertures illustrées qui ont accentué son image « bon enfant » (voir ci-contre). Son ton épique et enjoué l’a fait classer parmi les livres pour enfants malgré des scènes cruelles, suivant le même sort que Sa Majesté des mouches de l’auteur anglais William Golding (1954) qui décrit aussi la montée en violence d’une société d’enfants livrés à eux-mêmes. Après une première adaptation cinématographique réalisée en 1936 par Jacques Darroy sous le titre La Guerre des gosses , Yves Robert adapte le roman à son tour en 1962 en le traitant comme une comédie nostalgique de l’enfance, avec Jean Richard et Michel Galabru dans des rôles d’adultes. Deux autres adaptations sont parues en 2011. En 2009, dans le roman Lebrac. Trois mois de prison (paru au Seuil), Bertrand Rothé brise cette conception idyllique de la violence enfantine selon Louis Pergaud et met en évidence, après s’être informé auprès de magistrats, de policiers et d’éducateurs, ce qu’aurait été aujourd’hui le traitement judiciaire des actes perpétrés par Lebrac et sa bande. Il oppose ainsi au regard attendri fréquemment porté sur l’œuvre une réalité plus sévère des exigences sociales qui sont imposées aux jeunes d’aujourd’hui.
Texte : Sylvain Cid
Source : Louis Pergaud, La guerre des boutons. Roman de ma douzième année, Paris, Editions Le Mercure de France, 1913 (nombreuses rééditions).
Crédit : droits réservés
Tabassage en règle (1957)
Dans un reportage en plusieurs épisodes, intitulé « Les enfants aux longs couteaux », le journaliste Sylvain Reiner met en scène la violence des jeunes, en pointant du doigt le laxisme des parents toujours prêts à défendre leurs rejetons sans leur inculquer le sens des valeurs. Dans cet article dont le gros titre annonce "Le jour du mariage Petit Louis enlève sa sœur dans l’auto de son beau-frère et exige de celui-ci 30.000 F de rançon", il raconte avec effets de style et humour le fait divers et s’attarde sur la scène où le futur marié, convoqué par son jeune beau-frère dans un terrain vague pour payer la rançon tente, vainement de le corriger pour se faire finalement tabasser en règle par une bande de gosses. Revenu penaud et roué de coups à l’heure du banquet, il évoque alors son intention de porter plainte, ses beaux-parents réagissant de façon pour le moins surprenante : - ça ne vous avancera, dit le beau-père. Vous ne savez pas vous défendre. Après tout on ne vous a rien pris - Ils m’ont volé mon alliance ! - Ce n’est que métal doré ils n’iront pas loin avec ça - Je vous demande pardon, fit Marcel retrouvant sa dignité. Elle était en or tout ce qu’il y a de plus authentique. Je peux vous montrer la facture. - Vous auriez dû ramener Mathilde - Je ne l’ai pas vue, on ne me l’a pas rendu - ça c’est fort alors dit le père. La mère commençait à s’inquiéter. Elle cria à l’adresse du chef de famille : - ça ne serait pas arrivé si tu avais accepté de lui acheter ce banjo dont il avait envie...
Texte : Mathias Gardet
Source : Sylvain Reiner, « Les enfants aux longs couteaux », Le Parisien, 11 janv 57, p. 2
Crédit : Le Parisien
Où sont les tricheurs ? (1959)
Source : « Où sont les tricheurs ? », Tribune du peuple, n°104, 26 décembre 1959, p. 4. (remontage de l’article par rapprochement de la photo et des encadrés).
Crédit : Photo Keystone
L’école de la violence (1962)
Michel de Saint-Pierre de son vrai nom Michel de Grosourdy, marquis de Saint-Pierre (né le 12 février 1916 à Blois, mort le 19 juin 1987 à Saint-Pierre-du-Val, dans l’Eure) était écrivain et journaliste français, et fut un ami proche de Georges Pompidou. Après avoir mené une vaste enquête sur les milieux étudiants en 1961, publié sous le titre de La nouvelle race, l’auteur s’intéresse à la faune des blousons noirs, « cette jeunesse de l’ombre » et en particulier aux nombreux faits divers qui dévoilent leur violence, la « tâche noire de la délinquance juvénile allant s’élargissant ». Il cherche à traquer toutes les écoles de violences qui entraînent les jeunes dans de sombres remous : « A leur solitude, au déclin de l’autorité chez les parents, au déclin de l’honneur dans l’État, aux insuffisances de l’enseignement et de l’éducation, aux entassements sordides, au matérialisme qui monte, les jeunes donnent des réponses de violence. La fureur de vivre s’exprime alors, trop souvent, en actes, en gestes qui relèvent du code pénal. » Pour ce faire, l’auteur, convie le lecteur à parcourir en sa compagnie "un long chemin qui nous a mené de la clinique de psychiatrie aux salles obscures de nos commissariats de quartier ; passant par les squares peuplés à certaines heures d’adolescents aux longs cheveux, au cou crasseux, qui bavardent mollement et s’ennuient ; traversant les divers lieux où des jeunes gens « biens » reçoivent d’autres jeunes qui ne le sont pas ; et ces rues où des enfants dépenaillés font voguer dans des flaques d’eau sale leurs bateaux en papier, leurs désirs fous, leurs rêves... Il précise d’emblée qu’"il s’agira autant, ici, du procès des adultes que du procès des jeunes".
Texte : Mathias Gardet
Source : Saint-Pierre (Michel de), L’école de la violence, Paris, Editions La Table ronde, 1962, 251 pages
Crédit : droits réservés
Bagarres de jeunes (1962)
Cette image est tirée d’un article de 1962, pleine période des Blousons Noirs. Ces bandes de jeunes font la Une des journaux depuis 1959. Un terrain vague, plusieurs jeunes en pleine bagarre. on imagine un réglement de compte entre bandes rivales. La violence des adolescents est perçu alors, comme une violence éruptive, en groupe, de défoulement. Il est intéressant de noter que le mot qui légende l’image est « bagarre » est non « violence ». Il faut attendre les années 1970 pour que la violence deviennent une des caractéristique de la délinquance des jeunes.
Source : Réintégration, juillet 1962
Crédit : droits réservés
Graines de violence ? (1973)
« Le 6 février 1973, à Paris, brûlait le CES de la rue Edouard-Pailleron, entraînant la mort de quinze personnes. Quelques jours plus tard, on apprenait la vérité : l’incendie avait été allumé par un garçon de 14 ans avec la complicité de l’un de ses camarades, au vu et au su de plusieurs autres… » Ce fait divers commenté par la presse pointe encore une fois la mauvaise influence du cinéma, en l’occurrence le film Orange mécanique. L’article pose aussi la question de « comment devient-on délinquant ? », l’incendie d’un CES visant un milieu de jeunes « privilégiés » et ayant été commis par un « enfant de bonne famille ». Le regard est alors braqué sur la période fragile de l’adolescence souvent « mal dans sa peau », « en révolte contre l’entourage » et avec « ce sentiment d’être détesté de tous ». Est évoqué aussi l’air du temps, mai 68 et le « fol espoir » qu’il a fait naître « suivi de déception ». Pour guérir cette violence spontanée, inexplicable, cette « frange d’ombre et de mystère qui cerne toute vie », l’auteur de l’article sans approuver les méthodes extrêmes utilisées dans le film de Kubrick, évoque les « méthodes psychothérapiques qui peuvent se combiner avec des médicaments » et en particulier les expériences de traitement en groupe. Il s’interroge en même temps sur l’impasse posée par la contrainte : « l’utilisation de la psychologie pour le traitement des délinquants se heurte à un problème fondamental : l’un des conditions pour qu’un individu évolue grâce à un traitement psychologique est qu’il désire ce traitement, qu’il l’accepte profondément. Or, la prison (ou le centre d’éducation surveillée) n’est pas l’hôpital ou le cabinet du médecin où l’on se rend trois fois par semaine ».
Texte : Mathias Gardet
Source : « Nos enfants graines de violence ? », Femme pratique, n°121 sept 1973, p.1-7