Un éducateur aux Etats-Unis (1950)
Après des études à l’université de Lyon et sa période militaire, Jean Ughetto (1923-2010) intègre l’école de cadres rééducateurs de Montesson, où il obtient son diplôme en 1947. Ses premiers postes : à l’Ecole Théophile Roussel de Montesson puis, en 1949-1950, comme éducateur dans un des centres du Prado près de Lyon, sa région d’origine. Passionné de théâtre, il a suivi des cours à l’École d’éducation par le jeu dramatique, qui deviendra École Jean-Louis Barrault. En 1950, il fait partie d’un programme d’échanges, après avoir été choisi après des entretiens menés à l’école Paul Baerwald à Versailles, école de service social qui possède un personnel d’Européens instruits par les Américains. Outre-Atlantique, il suit un programme académique, au sein de l’université, basé sur des cours en social work à l’Adelphi college et dans le cadre de la New York School of social work. Mais le voyage comporte aussi une grande partie pratique, puisque Jean Ughetto sera notamment group worker au sein de plusieurs institutions, notamment au sein d’un village d’enfants. Il visitera de nombreux autres centres, assistera à des conférences, ira même jusqu’à traduire en français l’ouvrage de Paul L. Crawford, Daniel I. Malamud, and James R. Dumpson, Working with teen-age gangs sous le titre Éducateurs dans la rue : Trois ans avec des gangs de jeunes. En arrivant à Vitry, Jean Ughetto va introduire le « sociodrame », inspiré par les méthodes du Dr Jakob Moreno aux Etats-Unis, auprès de qui il a été un temps auxiliary ego.
Texte : Samuel Boussion
Source : archives Jean Ughetto
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Sourires de Pologne (1960)
En 1960, le chef des services de la liberté surveillée de Versailles relate dans la revue Liaisons, revue de la principale association professionnelle d’éducateurs, le voyage d’une délégation d’éducateurs français en Pologne. Cette excursion a été organisée sous les auspices des Nations unis et sur l’invitation du gouvernement polonais. Le ton est on ne peut plus enthousiaste et ému pour décrire l’accueil chaleureux réservé par ce pays au-delà du « rideau de fer » : "nous fûmes littéralement happés à notre descente de wagon, couverts de fleurs, choyés, cajolés, cordialement bousculés, pressés sur le sein d’aimables et plantureuses Polonaises, dans le vibrant tohu-bohu d’une animation toute méridionale." Succession d’accueils avec banderoles et drapeaux, repas gastronomiques, chants et danses folkloriques, tout est pratiquement abordé dans ce compte rendu, à l’exception notable de la partie informative et « technique » du voyage, apparemment plus secondaire et appelée vaguement à constituer plus tard "sans doute la matière d’autres exposés plus substantiels" . Depuis le milieu des années 1950, à travers « notes » et « impressions », la revue Liaisons se fait l’écho de nombreux voyages d’éducateurs à l’étranger, avec ou sans leurs jeunes. Les pays du bloc communiste ne sont pas délaissés puisque sont visités, après l’ère stalinienne, la Yougoslavie en 1955, la Pologne en 1959 et 1960, l’URSS en 1960 et 1962... C’est aussi en 1960 que se tient le deuxième Congrès mondial des Nations unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, cinq ans après le premier. De son côté pourtant, l’Association internationale des éducateurs de jeunes inadaptés (AIEJI), créée en 1951 à partir de l’expérience de l’association nationale française (l’ANEJI), ne regroupe longtemps que des associations professionnelles nationales du « monde libre », auxquelles s’ajoute une section yougoslave. Cela n’empêche pas le rapporteur de ce périple polonais d’estimer, dans un élan universaliste inspiré par l’intérêt supérieur de la jeunesse, qu’"il n’est pas de frontières pour ceux que préoccupent, quelles que soient les différences de climats ou d’idéologies, les problèmes de la jeunesse désemparée, et, dans ce domaine, le dialogue Est-Ouest est assurément plus facile que dans beaucoup d’autres."
Texte : Sylvain Cid
Source : Liaisons ANEJI, n°35, juillet, 1960, p. 6
Quatre jeunes Français en Scandinavie (1962)
En 1962 à Lyon, le quotidien régional Le Progrès confie à quatre jeunes de Villeurbanne une mission d’enquête sur une certaine jeunesse des pays scandinaves : ceux qui, comme les « blousons noirs » en France, les « teddy boys » en Angleterre, les « beatniks » aux Etats-Unis, les « Halbstarken » en Allemagne ou les « hooligans » en Pologne et en URSS, "inquiète[nt] les collectivités et irrite[nt] les autorités" . Les quatre Villeurbannais ont 17 ou 18 ans, ils sont ouvriers ou en passe de le devenir. A leur retour, leur récit est enregistré et retranscrit en « langage classique » dans les colonnes du journal du 4 au 8 décembre 1962. Certes, l’auteur de la série d’articles le concède, "le sujet en est délicat, presque tabou" . Mais sans nier, " pour bien des cas, les vertus thérapeutiques de la trique" pour cette jeunesse "dont on rougit" , le journaliste espère sensibiliser ses lecteurs à une meilleure compréhension du phénomène social. Interrogés, les quatre jeunes Français dressent le tableau d’une jeunesse suédoise qui leur est à la fois lointaine et proche. Proximité quand ils retrouvent dans les conduites asociales des jeunes scandinaves le même mal d’être jeune et seul face à une société de l’ennui, la même nécessité de se regrouper en bande. L’exotisme au contraire se manifeste à travers plusieurs observations : les jeunes adolescentes y sont plus indépendantes et plus libres (les filles de la première bande qu’ils rencontrent se laissent embrasser !), les jeunes hommes sont moins bagarreurs et moins bandits, davantage accessibles à l’alcoolisme aussi (mais "sans chanter sans « déconner »" ), la police est quant à elle jugée pas très efficace mais au moins plus correcte. A Stockholm, ils font encore la connaissance des Raggaré" (étymologiquement : rôdeurs, maraudeurs, dragueurs) qui regardent passer les filles sur le trottoir du centre-ville avec leurs motos et leurs grosses voitures américaines, comme s’ils sortaient tout droit du film L’Equipée sauvage avec Marlon Brando. "Eux, ils seraient plutôt blousons dorés que des blousons noirs ! D’ailleurs il paraît que c’est la même chose... Bien que, nous, on soit pas tout à fait d’accord !" La visite d’une Maison de Jeunes de Stockholm aux allures de palais, puis d’un club de jeunes ouvert par la police est l’occasion de faire la critique des solutions habituellement proposées en France comme en Suède pour occuper les jeunes : "Est-ce qu’ils croient que les raggaré vont jouer aux échecs ?" L’un d’eux imagine : "Moi, je vois une maison [...] pas luxueuse mais très libre. Toujours ouverte. Les jeunes y viendraient seuls ou en bande mais personne ne leur demanderait rien, ni inscription ni adresse. Dedans c’est plein de jeux pour s’amuser. [...] Avec, pour surveiller la maison et éviter la grosse pagaye, des éducateurs."
Texte : Sylvain Cid
Source : Le Progrès, 4 décembre 1962