Le crime étalé sur les murs de Paris (1955)
Le cinéma rencontre une fréquentation croissante parmi la jeunesse dans les années 1950 qui, étant donné le prix modeste des tickets d’entrée, s’y rend volontiers plusieurs fois par semaine. Outre l’activité de la Commission de contrôle des films, qui exerce une censure de plus en plus sévère sur les longs métrages diffusés en salle, en fixant des autorisations de diffusion selon les âges des spectateurs, les revues spécialisées sur l’enfance et l’adolescence lancent à leur tour de nombreux signaux d’alarme. Elles s’attaquent notamment à l’affichage publicitaire pour les films d’aventure et policiers à l’extérieur des salles et sur les murs de la ville, jugé immoral si ce n’est obscène. Ces propagandes promotionnelles seraient ainsi de véritables incitations au crime et à la débauche en glorifiant des héros bandits ou en appâtant le public avec les chairs plus ou moins dénudées de femmes lascives et « fatales ».
Texte : Mathias Gardet
Source : Image et son, n°84, juillet 1955
Crédit : droits réservés
L’ombre du crime (1956)
Le mensuel français Réalités a été fondé en février 1946 et est édité par la Société d’études et de publications économiques, SEPE (il disparaîtra en 1978). De tendance libérale, il est une des revues illustrées les plus lue entre les années 1950 et 1970. Chroniques économiques et politiques voisinent avec des reportages touristiques et culturels. Cet article de mai 1956 est entièrement consacré à la question de la délinquance juvénile. La photo présentant un jeune garçon « jouant au gangster » semble être elle-même tirée d’un film. Parmi les facteurs évoqués revient en toile de fond le danger du cinéma sur ces jeunes esprits influençables : « A douze, il est un homme, il mène sa vie, va seul au cinéma le soir, personne ne dirige ses loisirs ».
Texte : Mathias Gardet
Source : Réalités, n°124, mai 1956
Crédit : droits réservés
Comme au cinéma (1958)
Ancien bulletin d’Informations UFOCEL (Union Française des Offices du cinéma Educateur) d’inspiration communiste, devenu Image et son en novembre 1951, la revue est d’orientation humaniste de gauche, soucieuse de l’éducation populaire à la lecture et l’interprétation des films. Elle s’appuie sur le réseau des Ciné-Clubs (dans les villes, dans les lycées et dans les entreprises). Dans cette image de couverture, sur fond de campagne électorale présidentielle, la revue évoque avec humour l’imprégnation du grand écran sur les jeunes générations qui rejouent, arme fictive aux poings, les grandes scènes d’action de leurs films d’aventure préférés. Elle reflète par là-même les débats sur l’influence, jugée pernicieuse ou non, du cinéma sur la jeunesse et de la violence par mimétisme qu’il risque engendrer.
Texte : Mathias Gardet
Source : Image et son, n°112 mai 1958
Crédit : droits réservés
L’équipée sauvage (1953)
Le film américain L’équipée sauvage (The wild one ) de László Benedek sorti aux Etats-Unis en décembre 1953 et qui débarque sur les écrans parisiens en avril 1954 fait sensation. Le chef de la bande de motards, interprété par Marlon Brando, qui vient semer le chaos dans une tranquille petite ville de province, incarne l’archétype du jeune rebelle, perçu comme d’autant plus dangereux qu’il exerce un attrait irrésistible sur la fille, pourtant jusqu’ici très sage, du shérif local. Au-delà de l’histoire propre au scénario, la revue Constellation médecine pose, comme tant d’autres, le problème de la fascination pour ces modèles de « mauvais garçons ». Ces derniers, glorifiés par les films américains, exerceraient une mauvaise influence sur la jeunesse française, qui chercherait comme le montre la juxtaposition des deux photos à en imiter les poses, voire à opter pour le chemin de la délinquance.
Texte : Mathias Gardet
Source : Constellation médecine, n°32, novembre 1963
La fureur de vivre (1955)
Le film américain La fureur de vivre (Rebel without cause ) de Nicholas Ray sorti aux Etats-Unis en octobre 1955 et qui débarque sur les écrans parisiens en mars 1956 crée un choc d’autant que la star qui incarne le personnage principal, James Dean, vient de mourir à 24 ans dans un accident de voiture. La réalité vient ainsi rattraper de façon vertigineuse la fiction, puisque dans le film, le principal concurrent de James Dean, meurt lui aussi tragiquement durant un défi automobile au bord d’un précipice. Si le Marlon Brando de l’Equipée sauvage incarnait le blouson noir des milieux populaires, le James Dean de la Fureur de vivre lui identifie le jeunesse désoeuvrée des milieux aisés, ceux qui seront qualifiés par la presse de « blousons dorés ». Dans l’un et l’autre cas, les médias s’inquiètent de l’effet mimétique qu’ils peuvent avoir sur les jeunes français qui risqueraient d’en reproduire les mauvais penchants comme le monter cet image d’un adolescent posant devant l’affiche du film.
Texte : Mathias Gardet
Source : Science et vie, n°491 août 1958
Terrain vague (1960)
Le film Terrain vague de Marcel Carné sort sur les écrans en novembre 1960. Il frappe les esprits à plus d’un titre. Tout d’abord, comme son titre l’indique, il est un des premiers films français à évoquer la révolution urbaine qui est train de s’opérer à cette époque, de nouvelles cités dortoir poussant comme des champignons sur ce qui n’était jusqu’alors que des terrains vagues, dans la périphérie des grandes villes pour faire face à la crise du logement due non seulement à l’exode rural massif (la population française devenant pour la première fois majoritaire citadine) mais aussi une explosion démographique inattendue. Il témoigne ensuite de l’inquiétude engendrée par la sociabilité devenue plus visible des jeunes dans ce cadre de vie, les médias se faisant l’écho de la peur des « bandes ». Le film détonne des autres œuvres similaires par la place exceptionnelle laissée à une des héroïnes, interprétée par Danièle Gaubert, qui est la cheffe de la bande d’adolescents mise en scène. Cette image du film publiée par la Revue de la Sûreté nationale , instantané tourné dans une salle de jeux, est révélatrice du contrôle policier de plus en plus sévère exercé sur les lieux de loisirs des jeunes, avec la mise en place progressive d’une brigade des mineurs qui, à cette époque, exerce encore un rôle de prévention.
Texte : Mathias Gardet
Source : Revue de la Sûreté nationale, n°34, 1960
Les tricheurs (1958)
Le film de Marcel Carné, Les tricheurs , sorti sur les écrans français en 1958 dérange car, au lieu de décrire les déviances d’une jeunesse des milieux populaires, il s’attache aux errements d’une jeunesse de classes plus aisées : étudiants existentialistes, filles de diplomate ou de commerçants qui partagent le même ennui et le même désespoir face à une société où ils ne trouvent pas leur place. Ils trainent dans les cafés du « Boulmiche » ou organisent des surboums épiques à grand renfort d’alcool, coulant à flot dans des appartements luxueux de parents absents et donc démissionnaires. Ils incarnent avant l’heure ceux que l’on ne tardera pas à appeler les « blousons dorés » en opposition aux « blousons noirs » de milieux populaires et déjà incarnés depuis 1955 dans le cinéma américain par James Dean dans le film La fureur de vivre . La course infernale en voiture que mènera l’héroïne du film de Carné et l’accident mortelle sur laquelle elle conclue n’est d’ailleurs pas sans rappeler la célèbre scène de La fureur de vivre où, par désoeuvrement, les deux bandes étudiantes rivales se jettent un défi au bord d’une falaise, le plus courageux étant le conducteur qui s’éjecte le plus tard possible de la voiture lancée à toute blinde vers le précipice.
Texte : Mathias Gardet
Source : Revue de la Sureté nationale, n°28, 1960
Graine de violence (1955)
Basé sur un roman homonyme d’Evan Hunter, le long métrage Graine de Violence (Blackboard jungle ou "La jungle du tableau noir"), sorti sur les écrans en 1955, raconte l’histoire d’un jeune professeur d’anglais, recruté par une école secondaire d’enseignement professionnel dans un quartier populaire de New York, qui se heurte à l’hostilité des élèves et à leur désintérêt. Ce film très engagé doit son succès à son avant-gardisme en exploitant le thème de la violence juvénile dans le cadre scolaire. Par la mise en scène d’une éducation novatrice pour l’époque, il déconstruit les stéréotypes qui entourent la figure des jeunes délinquants, qui n’apparaissent pas tant comme des « fauves » mais plutôt comme des protagonistes influençables qui, au fond, veulent avant tout s’en sortir. Le film marque aussi par sa bande-son : Rock-and-roll the clock composé l’année antérieur par Bill Haley qui constitue une véritable révolution musicale et connait un succès mondial. A sa sortie, le film suscite de vives réactions aux Etats-Unis, l’ambassadrice américaine en Italie, Clara Booth Luce, femme du directeur de Life , en interdit la projection au festival de Venise sous prétexte qu’il risquait de ternir l’image des USA, étant même jugé comme anti-américain.
Texte : Mathias Gardet
Source : affiche du film
Crédit : droit réservé
Critique de films à l’aune des sciences du psychisme
La Revue internationale de filmologie est créée en 1947 par des professeurs de la Sorbonne, psychologues tels que Henri Wallon, René Zazzo ou sociologues et théoriciens comme Roger Caillois, Edgar Morin ou Roland Barthes, cette revue se propose de tenir son public au courant des recherches entreprises dans cette discipline toute récente qu’est la filmologie. Loin de se poser en « critiques de film », certains de ses auteurs tentent de démontrer scientifiquement l’impact psychique du cinéma sur les mentalités enfantines. Ils mesurent ainsi, encéphalogrammes à l’appui, les stimulis provoqués par certaines scènes (galopades, poursuites, situations de flirts, baisers) sur les jeunes cerveaux et contribuent ainsi à alimenter les critiques sur les influences pernicieuse du cinéma sur la jeunesse.
Texte : Mathias Gardet
Source : Revue internationale de filmologie, n°7-8, 1949